La déviance positive : faire autrement pour améliorer l’hygiène des mains des infirmières

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Positive deviance: Doing things differently to improve hand hygiene of nurses

Josiane Létourneau, inf., MSc, PhD;1,2,3 Marie Alderson, inf., PhD4,5,6,7
1Département des sciences infirmières, Université du Québec en Outaouais
2Ordre des infirmières et infirmiers du Québec
3Association des infirmières en prévention des infections
4Faculté des sciences infirmières, Université de Montréal
5Centre de recherche de l’Institut Universitaire de Gériatrie de Montréal
6Centre de recherche et d’intervention sur le suicide, enjeux éthiques et pratiques de fin de vie
7Centre d’innovation en formation infirmière

Auteur correspondant:
Josiane Létourneau, Post-doctorante, Département des sciences infirmières, Université du Québec en Outaouais, 8251 Ave. Kirby-Hall # 106, Anjou, QC, H1K 1P3
Tel: 514-382-1869 | This email address is being protected from spambots. You need JavaScript enabled to view it.


RÉSUMÉ

Contexte : Les difficultés rencontrées pour améliorer les taux d'adhésion à l'hygiène des mains des infirmières suggèrent que de modifier ce comportement est une tâche complexe. Une approche novatrice - la déviance positive - propose de déterminer la présence d’individus plus performants afin de comprendre les facteurs qui pourraient expliquer cette meilleure performance. Le but de cette étude était d’explorer, sous l’angle de l’approche de la déviance positive, les facteurs qui influencent la pratique de l’hygiène des mains des infirmières en contexte hospitalier québécois.

Méthode : Deux ethnographies focalisées ont été effectuées auprès de 21 infirmières sur une unité de médecine-chirurgie et une de soins palliatifs d’un centre hospitalier universitaire de Montréal. La collecte des données s’est déroulée en 2015, principalement lors de 18 entrevues individuelles et 14 périodes d’observation. Les données colligées ont été codées et regroupées sous des catégories.

Résultats : Au niveau individuel, les participantes reconnaissent l’importance des connaissances sur le rôle de l’hygiène des mains dans la prévention des infections. Au niveau organisationnel, on constate une pratique collaborative à l’intérieur de chacune des équipes de soins. Au niveau environnemental, la disponibilité des distributeurs de solution hydro-alcoolique facilite la pratique de l’hygiène des mains. Au niveau socioculturel, les deux équipes travaillent ensemble vers un but commun, ce que nous avons nommé cohésion sociale, favorisée sur l’unité de médecine-chirurgie par le leadership de son infirmier-chef et sur l’unité des soins palliatifs par une pratique de soins empreinte d’humanisme.

Discussion/Conclusion : Les connaissances découlant de cette étude permettent de comprendre qu’afin d’améliorer l’adhésion à l’hygiène des mains des infirmières, il serait préférable de cibler les équipes de soins qui performent le mieux afin d’y puiser des idées pour aider celles avec une moins bonne performance et d’élaborer des interventions qui intègrent des facteurs à plusieurs niveaux, non seulement au niveau individuel, mais aussi aux niveaux organisationnels, environnementaux et socioculturels.

MOTS CLÉS

Déviance positive; hygiène des mains; infirmières; ethnographie focalisée


ABSTRACTS

Background: Challenges encountered in improving nurses’ hand hygiene adherence rates suggest that changing this behavior is a complex task. An innovative approach-positive deviance-propose to identify better-performing individuals in order to understand the factors that could explain their better performance. The aim of this study was to investigate the factors influencing nurses’ hand hygiene practices at a Quebec hospital from the perspective of positive deviance.

Method: Two focused ethnographies were conducted involving 21 nurses on one medical-surgery unit and one palliative care unit at a Montreal university hospital. Data was collected in 2015, primarily during 18 individual interviews and 14 observation periods. The collected data was coded and sorted into categories.


Remerciements : Les remerciements vont tout d’abord aux infirmières qui ont pris le temps de répondre aux questions lors des entretiens et des observations et ce, malgré des horaires chargés. Puis, à l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec, à la Faculté des sciences infirmières de l’Université de Montréal ainsi qu’au Fonds de recherche Jeanne Vallet pour leur soutien financier à cette étude effectuée dans le cadre du doctorat en sciences infirmières de la premiere auteure.

Conflit d’intérêt : Aucun

ABSTRACTS

Background: Challenges encountered in improving nurses’ hand hygiene adherence rates suggest that changing this behavior is a complex task. An innovative approach-positive deviance-propose to identify better-performing individuals in order to understand the factors that could explain their better performance. The aim of this study was to investigate the factors influencing nurses’ hand hygiene practices at a Quebec hospital from the perspective of positive deviance.

Method: Two focused ethnographies were conducted involving 21 nurses on one medical-surgery unit and one palliative care unit at a Montreal university hospital. Data was collected in 2015, primarily during 18 individual interviews and 14 observation periods. The collected data was coded and sorted into categories.

Results: At an individual level, the participants recognized the importance of knowledge of the role of hand hygiene in the prevention of infections. At the organizational level, we observed collaborative practices within each care team. At the environmental level, the availability of alcohol-based hand hygiene dispensers facilitated hand hygiene practice. At the sociocultural level, the two teams worked together towards a common goal, a practice we refer to as social cohesion, encouraged on the medical-surgery unit by the head nurse’s leadership and on the palliative care unit by a humanistic care practice.

Discussion/conclusion: The knowledge gained from this study shows that, to improve nurses’ hand hygiene adherence, it would be preferable to target better-performing care teams so that we may draw on their ideas to help less performing teams and develop interventions integrating factors at several levels, not only individually but also organizationally, environmentally and socio-culturally.

KEYWORDS

Positive deviance; Hand hygiene; Nurses; Focused ethnography


INTRODUCTION

Différentes approches ont été proposées au fil du temps pour améliorer les taux d’adhésion à l’hygiène des mains des infirmières. Néanmoins, ces taux sont et demeurent faibles au Québec [1] comme ailleurs [2]. Depuis le milieu des années 1980, une approche de changement de comportement – la déviance positive – a fait son apparition dans les écrits en santé publique. Ladite approche propose de déterminer la présence de déviants positifs – personnes ou groupes plus performants que d’autres – puis d’explorer les facteurs qui pourraient expliquercette meilleure performance afin de développer des moyens d’amener un changement à d’autres personnes ou d’autres groupes [3]. Il nous semblait pertinent d’étudier des infirmières plus performantes au regard de la pratique de l’hygiène des mains afin d’expliciter les éléments liés à cette meilleure performance. Le but de cet article est de présenter et discuter les résultats d’une étude portant sur l’exploration, sous l’angle de l’approche de la déviance positive, des facteurs qui influencent la pratique de l’hygiène des mains d’infirmières, en contexte hospitalier québécois.

MÉTHODE

Nous avons utilisé l’approche de la déviance positive selon Bradley et al [3]. (Figure 1) et adapté les deux premières étapes à notre étude. Tout d’abord, nous avons identifié deux unités attestant de déviance positive – plus performantes au regard de la pratique d’hygiène des mains chez les infirmières – et par la suite, effectué deux ethnographies focalisées afin de comprendre les facteurs liés à cette meilleure performance.

Devis de recherche

L’ethnographie focalisée a été retenue, car elle permettait d’observer des infirmières dans leur quotidien tout en tenant compte de la culture institutionnelle et des diverses sources d’information contextuelles. La collecte de données a consisté principalement en observations systématiques, entrevues individuelles, notes de terrain, et inclusion de conversations informelles. Ladite collecte été effectuée exclusivement par la première auteure, expérimentée dans le domaine de la prévention et du contrôle des infections, alors qu’elle était doctorante en sciences infirmières. Il est à souligner que cette dernière n’avait jamais travaillé dans le milieu à l’étude et ne connaissait aucune des participantes.

Milieu de l’étude

Cette étude s’est déroulée dans un Centre hospitalier universitaire de Montréal. Ce dernier a été retenu, dans la mesure où des audits sur l’hygiène des mains y étaient effectués aux deux mois, ce qui permettait de disposer de données utiles au moment de débuter l’étude en janvier 2015, soit des taux de performance sur l’adhésion à l’hygiène des mains des infirmières par unité de soins.

Unités de soins

Un échantillon de cas exemplaires, défini comme un petit groupe de cas exceptionnels, qui réussissent et qui peuvent être par le fait même une source d’information [4] constitue la stratégie qui a servi à identifier les unités les plus performantes au regard de l’adhésion à l'hygiène des mains des infirmières. À cette fin, nous avons consulté les résultats des audits effectués entre août 2013 et décembre 2014 et nous avons calculé un taux moyen (%) d’adhésion à l’hygiène des mains des infirmières pour chacune des unités de soins. Nous avons par la suite identifié les deux unités les plus performantes au regard de l’hygiène des mains des infirmières, soit une unité de soins palliatifs (USP) avec un taux moyen de près de 70% et une unité de médecine-chirurgie (UMC) avec un taux moyen de près de 60%. Soulignons que la moyenne du taux d’adhésion des infirmières pour l’ensemble des unités de soins se situait à un peu plus de 30%.

Participantes

Pour identifier les participantes à l’étude, nous avons opté pour un échantillon de convenance selon lequel ces dernières sont choisies sur la base de leur disponibilité au moment de l’étude et leur désir d’y participer [4-6]. Dans le contexte de notre étude, les participantes ciblées étaient les infirmières qui œuvraient de jour et de soir sur les deux unités choisies pour l’étude et qui avaient des contacts directs avec les patients. Un total de 28 infirmières a été approché pour participer à l’étude et aucune n’a été exclue.

Éthique

Il est à souligner qu’avec l’approbation du Comité d’éthique du centre hospitalier, le but de l’étude a été présenté aux infirmières œuvrant sur les deux unités choisies de manière plus large en incluant l’hygiène des mains aux mesures générales de prévention des infections associées aux soins de santé afin de ne pas influencer leur comportement au regard de l’hygiène des mains. Suite à la présentation de l’étude, les formulaires d’information et de consentement ont été remis aux infirmières et ces dernières avaient une semaine pour en prendre connaissance et accepter ou non d’y participer.

Observation

La doctorante en sciences infirmières a accompagné et observé les infirmières lors de toutes leurs interventions cliniques, participé aux échanges avec les patients, observé tout ce qui se déroulait sur les unités afin d’avoir un portrait le plus complet possible des facteurs qui influençaient l’hygiène des mains. L’observation s’est faite par blocs d’environ quatre heures consécutives à raison de deux à trois fois par semaine du 26 janvier au 30 mars 2015 sur l’UMC (environ 60 heures); du 10 septembre au 12 octobre 2015 sur l’USP (environ 25 heures).

Entrevues semi-structurées

Un total de 18 entrevues a été effectué et la durée moyenne variait de 45 à 60 minutes, mais certaines d’entre elles ont été de 90 minutes. Avec l’accord des participantes, les entrevues étaient enregistrées afin d’en permettre la transcription. Ces dernières se sont échelonnées du 22 mars au 15 mai 2015 sur l’UMC et du 1er au 19 octobre 2015 sur l’USP. La majorité des entrevues a été réalisée dans un local clos pendant les heures de travail, avec l’accord des infirmières-chef, et pour quelques participantes, sur leur temps de repas. Deux entrevues se sont quant à elles déroulées à l’extérieur du lieu de travail. Afin de permettre l’atteinte du but de l’étude, un guide d’entretien fut élaboré pour assurer la cohérence avec ce qui avait été présenté aux infirmières et le contenu du formulaire de consentement, les questions portaient principalement sur leurs perceptions quant aux mesures générales de prévention des infections, incluant des questions spécifiques au regard de la pratique de l’hygiène des mains.

Analyse des données

À l’aide du logiciel QDA Miner, toutes les données ont été codées puis une analyse de contenu selon Patton [4, 5] fut opérée. Basées sur la recension des écrits, les données en lien avec les facteurs qui influençaient l’adhésion des participantes à l’hygiène des mains ont été codées selon quatre catégories: facteurs individuels, organisationnels, environnementaux et socioculturels. Comme proposé par Patton [4, 5], plusieurs vérifications, changements et regroupements des codages redondants ou similaires ont été effectués tout au long de cette étape afin d’assurer que le choix tant du codage que de la catégorie correspondait bien aux données recueillies tout au long de l’étude. Une consultante en analyse de données qualitatives a été rencontrée à trois reprises afin d’assurer la rigueur de la démarche d’analyse des données. De plus, les résultats préliminaires ont été présentés par groupe aux participantes de l’étude pour validation.

Résultats

Un total de 21 infirmiers (ères) a participé à l’étude, soit 15 (sur un total de 19) pour l’unité de médecine-chirurgie et 6 (sur un total de 9) pour l’unité de soins palliatifs. Les données sociodémographiques des participantes sont présentées dans le tableau 1. Quatre infirmières de l’unité de médecine-chirurgie et trois infirmières des soins palliatifs n’ont pas accepté de participer à l’étude, car elles mentionnaient être nouvelles ou ne prévoyaient pas avoir le temps pour cette activité. Toutefois, leurs opinions ont été consignées lors de conversations informelles.

Les résultats de l’étude montrent que les facteurs liés à la meilleure performance au regard de l’hygiène des mains sur les deux unités de soins peuvent être regroupés selon des facteurs individuels, organisationnels, environnementaux et socioculturels (Figure 2).

Au niveau individuel, les résultats de l’étude révèlent que les participantes connaissent l’importance de l’hygiène des mains et l’impact de cette mesure sur la prévention des infections. Elles mentionnent avoir suffisamment de connaissances sur les infections associées aux soins de santé, des conséquences de celles-ci sur les patients qui sont très vulnérables et de leur rôle de professionnelle pour en prévenir la transmission. Une participante ajoute que si certaines d’entre elles ne se lavent pas les mains « Ce n’est pas à cause d’un manque de formation » [Participante (P) 1, UMC]. Sur les deux unités, nous constatons que les participantes sont très au fait de leur rôle et responsabilité au regard de la prévention des infections associées aux soins de santé. Elles soulignent être conscientes qu’elles donnent des soins à des patients qui sont vulnérables et plusieurs d’entre elles mentionnent qu’adhérer à l’hygiène des mains est dictée par leur conscience professionnelle. Même si elles ont beaucoup de travail et qu’elles manquent de temps, l’une d’entre elles dit: « Je ne mettrai jamais le fait de ne pas me laver les mains sur le temps » (P2, USP). Les participantes disent qu’elles ont à cœur de protéger les patients et d’assurer des soins qui sont de qualité. « Si on ne se lave pas les mains, c’est comme si on contaminait notre patient […] ça fait partie du métier, ça fait partie du soin, donc si ce n’est pas fait, on ne fait pas notre travail » (P1, UMC). La protection et la sécurité des patients sont d’ailleurs deux facteurs qui reviennent très souvent dans les commentaires des participantes tant au cours des observations que lors des entrevues. « Les patients vont mourir, mais avant, ils peuvent être très malades, cela serait dommage qu’ils contractent, par exemple, un Clostridium difficile » (P2, USP). Sur ces deux unités de soins, la protection personnelle et par extension celle des membres de leurs familles est un facteur de motivation important pour les participantes dans leur adhésion à l’hygiène des mains. Ces dernières disent qu’en plus de protéger leurs patients, il est primordial de se protéger elles-mêmes, car elles ne veulent pas se contaminer et risquer de devenir malades.

Au niveau organisationnel, on constate une pratique collaborative à l’intérieur de chacune des équipes sur les deux unités. Sur l’UMC, le rôle que joue l’infirmier-chef dans l’adhésion à l’hygiène des mains des infirmières est certainement un facteur primordial. Tout au long des observations sur cette unité, on s’aperçoit qu’il est très présent et qu’il profite de chaque occasion pour féliciter les infirmières. Il semble évident que pour cet infirmier-chef, la prévention des infections associées aux soins de santé et particulièrement l’hygiène des mains est une priorité. Au fil des conversations informelles, il mentionne à quel point il prend à cœur la protection des patients et la sécurité des soins. Lors des rencontres mensuelles, l’infirmier-chef présente les résultats de surveillance d’hygiène des mains (audits) et encourage l’équipe de soins à proposer des solutions pour améliorer les taux. Qui plus est, on observe, sur les deux unités de soins, la collaboration et l’entraide entre les participantes – facteurs qui semblent aussi favoriser l’adhésion de ces dernières à l’hygiène des mains.

Au niveau environnemental, toutes les participantes mentionnent qu’il est beaucoup plus facile de procéder à l’hygiène des mains depuis l’introduction des solutions hydro-alcooliques (SHA). L’accessibilité et la disponibilité des distributeurs de SHA semblant donc des facteurs importants d’adhésion à l’hygiène des mains sur ces deux unités de soins. « Le fait qu'il y ait des solutions hydro-alcooliques partout, cela aide à l’hygiène des mains » (P5, USP). Les distributeurs sont installés à la porte de chacune des chambres et on en retrouve aussi à l’intérieur des chambres. À l’écoute des suggestions des infirmières, l’infirmier-chef de l’UMC a fait installer un deuxième distributeur de SHA à la porte de chacune des chambres de patient afin d’éviter que des distributeurs soient vides. De plus, la présence de lavabos dans les corridors contribue à la pratique de l’hygiène des mains avec de l’eau et du savon, si jugée nécessaire par les participantes. « Ça nous aide à la sortie des chambres; si j’ai fait un pansement, j'ai fait un soin, je préfère me laver les mains avec de l’eau et du savon » (P3, UMC).

Quant aux facteurs socioculturels, les membres des deux équipes travaillent ensemble vers un but commun, ce que nous avons nommé cohésion sociale. Cependant, ce qui favorise cette cohésion diffère selon l’équipe de soins. Sur l’UMC, l’équipe s’est mobilisée sous le leadership de son infirmier-chef afin d’améliorer les taux d’adhésion à l’hygiène des mains. « Ici on se lave les mains ». Aux soins palliatifs, l’équipe de soins collabore afin que les patients soient confortables et qu’ils ne souffrent pas, et ce, avec une « attitude qui exprime beaucoup de compassion, de douceur et d’amour ». Les participantes disent faire en sorte que toutes les mesures soient prises afin de prévenir la transmission des infections et l’hygiène des mains en fait partie. « Tous les patients qui viennent en soins palliatifs n’ont plus de système immunitaire. Il faut qu’on les protège. On est là pour soigner. On essaie de bien soigner » (P6, USP).

DISCUSSION

Il est reconnu que les infirmières doivent avoir les connaissances sur l’hygiène des mains et connaître son rôle pour leur protection personnelle et celle de leurs patients afin d’assurer la sécurité et la qualité des soins [7]. Nos résultats montrent que les participantes connaissent l’importance de l’hygiène des mains pour prévenir la transmission des infections et comprennent les risques pour les patients. Ces résultats sont semblables à ceux de Caris et al [7] où les participants sur des unités où les taux d’adhésion à l’hygiène des mains sont élevés reconnaissent l’importance de l’hygiène des mains pour protéger les patients des infections. Le manque de connaissances et de formation sur l’hygiène des mains a d’ailleurs été mentionné comme une barrière à cette pratique par les infirmières qui ont participé à l’étude d’Atif et al [8]. Selon Gould et Drey [9], il faudrait s’attarder aux besoins et caractéristiques de chaque groupe de professionnels de la santé afin de personnaliser les formations et demander leurs opinions quant au contenu de ces formations [10]. Doronina et al [11] ainsi que Gould et Drey [9] font ressortir l’importance de maintenir des programmes de formation pour améliorer l’adhésion à l’hygiène des mains des infirmières, car l’avantage principal est de permettre un transfert personnalisé des connaissances et une uniformisation du message sur la pratique de l’hygiène des mains [12]. Nous sommes d’avis que les hôpitaux pourraient partager les outils qu’ils ont développés au regard de l’hygiène des mains, telle que la formation en ligne élaborée dans le centre hospitalier où s’est déroulée l’étude. Il serait aussi primordial de profiter de chacune de ces formations pour conscientiser les infirmières sur l’importance de protéger leur santé en adhérant à l’hygiène des mains [13]. Les participantes ont mentionné l’importance d’adhérer à l’hygiène des mains pour se protéger et indirectement protéger leurs familles. La conscientisation des infirmières sur cet aspect, afin qu’elles maintiennent leur santé, semble essentielle et des auteurs reconnaissent que la protection personnelle est un facteur de motivation au regard de la pratique de l’hygiène des mains [13, 14].

Les participantes de l’UMC apprécient la rétroaction sur les résultats des audits afin d’en discuter et d’être impliquées dans les améliorations à apporter. Tout comme le mentionnent Atif et al [8] ainsi que Doronina et al [11], une rétroaction positive devrait être donnée aux infirmières dans leur pratique de l’hygiène des mains. Lawton et al [15] rappellent, quant à elles, que les professionnels de la santé ont besoin de recevoir des encouragements sincères et des messages constructifs, car ils sont souvent confrontés à des critiques. En lien avec nos résultats et ceux d’autres auteurs [16, 17], nous postulons que le leadership d’un gestionnaire est un facteur positif afin de soutenir une équipe de soins dans sa démarche d’amélioration puis de maintien des taux d’adhésion à l’hygiène des mains. De plus, Wendt et al [16] soulignent que le leadership de la part d’un gestionnaire a un impact favorable sur la cohésion à l’intérieur d’une équipe. Huis et al [17] ont démontré quant à eux que le tout se concrétisait par une amélioration de l’adhésion à l’hygiène des mains des infirmières. Considérant l’effet positif que semble avoir le leadership des infirmiers(ères)-chefs sur la pratique de l’hygiène des mains des infirmières et constatant qu’il n’est peut-être pas donné à tous (tes) les infirmiers (ères)-chefs de posséder ce type de leadership, nous proposons que de la formation et du soutien leur soient offerts afin de les accompagner dans ce rôle essentiel. Par ailleurs, quelques auteurs, tels que Hilken et al [18], proposent d’impliquer des infirmières soignantes qui ont du leadership, à titre de « championne », aux programmes de prévention et contrôle des infections. Selon Goedken et al [19], le rôle de championne au regard de l’hygiène des mains pourrait aider à améliorer cette pratique par la promotion, le coaching informel et le rappel à leurs pairs. Cependant, nous sommes en accord avec ces auteurs [19], qu’il peut être complexe d’ajouter ce type de responsabilités à des infirmières qui sont déjà surchargées et qui n’ont peut-être pas l’autorité fonctionnelle pour accomplir ce rôle.

Nos résultats font ressortir la plus-value d’une pratique collaborative qui s’exprime à l’intérieur de deux équipes de soins qui travaillent ensemble vers l’atteinte d’un but commun. Cependant, nous constatons que ce qui favorise cette collaboration diffère selon l’équipe de soins. Sur l’UMC, les infirmières se sont impliquées et ont collaboré avec le soutien continu de leur infirmier-chef afin d’améliorer les taux d’adhésion à l’hygiène des mains. Aux soins palliatifs, les infirmières ont travaillé en équipe afin de protéger des patients vulnérables qui sont en fin de vie et une adhésion renforcée à l’hygiène des mains en a découlé. Selon Dadich et al [20], les équipes de soins palliatifs sont habiles à travailler ensemble; ces dernières démontrent un engagement envers leurs patients et n’hésitent pas à utiliser leur créativité pour s’adapter aux besoins de ces derniers.

L’implantation des solutions hydro-alcooliques (SHA) dans les milieux de soins a certes permis de faciliter l’adhésion à l’hygiène des mains des professionnels de la santé [10, 11, 13, 21]. Cependant, pour ce faire, il est essentiel que les distributeurs de ces solutions soient disponibles sur toutes les unités de soins, accessibles au personnel et toujours remplis [22]. Toutes les participantes le mentionnent comme un des facteurs facilitant l’adhésion à l’hygiène des mains et plusieurs d’entre elles disent que si le distributeur de SHA est vide, il serait illusoire de croire qu’avant d’entrer dans la chambre d’un patient, alors que les infirmières sont déjà surchargées, ces dernières vont prendre le temps de chercher un distributeur qui soit rempli afin de pouvoir procéder à l’hygiène des mains. Ces deux éléments (accessibilité et disponibilité des SHA) se retrouvent dans une recension des études qualitatives effectuées entre 2000 et 2014 portant sur les facteurs qui influencent l’adhésion à l’hygiène des mains des professionnels de la santé [13] ainsi que dans les études de Kirk et al [23] et d’Atif et al [8]. Il est primordial que des distributeurs de SHA soient disponibles mais aussi facilement accessibles sur toutes les unités de soins [8, 23]. De plus, les gestionnaires ou autres personnes responsables devraient s’assurer que ces distributeurs soient toujours remplis [22]. En outre, il faudrait ajouter des lavabos pour que les infirmières puissent procéder à un lavage des mains avec de l’eau et du savon lorsqu’elles le jugent nécessaire lors des soins aux patients présentant une diarrhée associée au Clostridium difficile [24]. Plusieurs auteurs rapportent des problèmes d’adhésion à l’hygiène des mains lorsqu’il y a absence ou un accès limité aux lavabos [8, 25-27]. Cette problématique de disponibilités de lavabos devient encore plus complexe en situation d’éclosion ou de contexte hyper-endémique de diarrhée associée au Clostridium difficile [28] étant donné que les solutions hydro-alcooliques ne sont pas efficaces contre les spores de cette bactérie [24].

Selon nos résultats, l’adhésion à l’hygiène des mains est liée, entre autres facteurs, à la cohésion sociale, telle que décrite par Kwok [29], à l’intérieur d’une équipe de soins qui partage les mêmes valeurs ou le même but. Comme Kwok [29] le précise, il faut commencer par développer cette cohésion, si on veut augmenter les chances de réussir l’implantation locale de programmes visant l’amélioration de l’adhésion à l’hygiène des mains. Au-delà des interactions sociales entre les membres de l’équipe de soins, il faudrait mettre tout en œuvre pour permettre à chaque membre d’une équipe de soins de développer un sens d’engagement dans un projet commun.

Tout compte fait, nous sommes d’avis que l’apport de notre étude aux recherches existantes sur les interventions pour améliorer les taux d’adhésion à l’hygiène des mains des infirmières est d’avoir étudié deux équipes de soins plus performantes et d’avoir montré que des facteurs à plusieurs niveaux sont liés à cette meilleure performance. Basées sur nos résultats, nous suggérons que les interventions pour améliorer l’adhésion à l’hygiène des mains des infirmières ciblent les facteurs suivants: au niveau individuel – les connaissances, la protection personnelle et la conscience professionnelle; au niveau organisationnel – le leadership de l’infirmier(ère)-chef, la surveillance et une pratique collaborative; au niveau environnemental – la disponibilité, l’accessibilité des solutions hydro-alcooliques et des lavabos et au niveau socioculturel – une cohésion à l’intérieur de l’équipe de soins. Nous les proposons comme pistes de solutions tout en rappelant que des facteurs autres seraient à considérer dans divers contextes de soins.

Limites de l’étude

La doctorante en sciences infirmières était bien consciente que sa présence pouvait influencer la pratique de l’hygiène des mains et c’est pour cette raison que le but de la recherche a été élargi à toutes les mesures de prévention des infections. Une limite concerne le temps passé sur chacune des unités de soins. Avoir pu passer plus de temps (semaines, mois) sur les unités aurait éventuellement permis de dégager d’autres éléments. De plus, comme l’étude a été effectuée auprès d’équipes de soins d’un centre hospitalier universitaire francophone, il serait intéressant de procéder à de futures études auprès d’équipes de soins œuvrant dans un centre hospitalier anglophone afin d’y découvrir d’autres éléments liés à des taux élevés d’adhésion à l’hygiène des mains.

CONCLUSION

Nous devons poursuivre les efforts pour améliorer les taux d’adhésion à l’hygiène des mains des infirmières, ainsi que de tous les professionnels de la santé. Pour ce faire, une mobilisation continue est nécessaire au niveau clinique, organisationnel et social afin de soutenir les infirmières pour qu’elles soient en mesure de procéder à l’hygiène des mains et ainsi protéger les patients tout en protégeant leur santé. Les résultats de notre étude montrent que l’approche de la déviance positive est une méthode de recherche novatrice et intéressante qui peut contribuer à améliorer les connaissances au regard de l’hygiène des mains en étudiant des équipes de soins plus performantes et en apprenant de ces dernières.

RÉFÉRENCES

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